Plasticité sans dislocations dans les métaux à petits grains

Plasticité sans dislocations dans les métaux à petits grains

Marc Legros, Romain Gauthier, Armin Rajabzadeh, Frédéric Mompiou et Nicolas Combe

CEMES-CNRS, Toulouse

La plupart des matériaux cristallins qui nous entourent (métaux, alliages, céramiques) sont polycristallins, constitués de « grains », séparés par des « joint de grains ». Ces frontières entre domaines d’orientation différentes déterminent certaines propriétés physiques et notamment leur comportement mécanique. On peut par exemple rendre malléable une céramique ou au contraire durcir un métal en réduisant la taille de ses cristallites à travers la fameuse loi de Hall-Petch [1,2], établie de façon phénoménologique pour les aciers il y a 70 ans. Physiquement, cette relation peut s’expliquer par l’effet d’obstacle que jouent les joints de grains sur les dislocations, qui sont les vecteurs principaux de la déformation plastique. Lorsque les grains deviennent nanométriques, le seuil de plasticité sature ou décroit, ce qui est généralement attribué à des processus plastiques portés par les joints de grains eux-mêmes, comme la rotation, le glissement intergranulaire et/ou le couplage migration/cisaillement. Des mécanismes surtout observés dans les métaux à petits grains, mais rarement quantifiés expérimentalement, hormis lors d’expériences sur bicristaux [3]. Le modèle de Cahn & Mishin (C&M) [4,5], qui a popularisé le couplage migration-cisaillement, prévoit que le facteur de couplage augmente avec la désorientation du joint. En d’autres termes, lorsqu’un joint migre, il produit d’autant plus de cisaillement que sa désorientation est forte. Les rares mesures faites sur polycristaux, expérimentalement plus complexes à réaliser, ne semble pas attester cette tendance. Et les nanocristaux métalliques ne sont pas connus pour leur déformabilité.

Pour en avoir le cœur net, nous avons, depuis une dizaine d’années étudié les mécanismes de déformation liés à la migration des joints de grain, à la fois en microscopie électronique en transmission (MET) in situ , à l’aide de simulations atomiques par dynamique moléculaire et plus récemment par microscopie à force atomique (AFM), le tout couplé avec des techniques de cartographie d’orientation cristalline. On peut ainsi suivre le mouvement de joints connus et même quantifier de façon statistique le cisaillement produit dans de l’aluminium à grains ultra fins. En l’absence de dislocation, ce couplage migration-cisaillement est le principal vecteur de la déformation plastique [6]. Ce couplage est par contre beaucoup plus faible que celui prédit par le modèle C&M, ce qui explique le faible rendement des mécanismes de plasticité par joint de grains, et donc la faible ductilité des nanocristaux métalliques.

[1]   EO Hall. The deformation and ageing of mild steel: III Discussion of results. Proceedings of the Physical Society Section B 1951;64:747–53.
[2]   NJ Petch. The cleavage strength of polycrystals: Journal of the Iron and Steel Institute, v. 174. 1953
[3]   T Gorkaya, DA Molodov, G Gottstein. Stress-driven migration of symmetrical 〈100〉 tilt grain boundaries in Al bicrystals. Acta Materialia 2009;57:5396–405.
[4]   JW Cahn, JE Taylor. A unified approach to motion of grain boundaries, relative tangential translation along grain boundaries, and grain rotation. Acta Materialia 2004;52:4887–98.
[5]   JW Cahn, Y Mishin, A Suzuki. Coupling grain boundary motion to shear deformation. Acta Materialia 2006;54:4953–75.
[6]   R Gautier, A Rajabzadeh, M Larranaga, N Combe, F Mompiou, M Legros. Shear-coupled migration of grain boundaries: the key missing link in the mechanical behavior of small-grained metals. Comptes Rendus Physique 2021;22:1–16.

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